En parallèle de la sortie de Wolfenstein: Youngblood, nous avons pu nous entretenir avec son producteur exécutif pour discuter coopération avec Arkane, dégommage de nazis et Goonies (eh ouais).
Machine Arkanique
WL : Pourquoi c’est toujours aussi cool de massacrer du nazi ?
Jerk Gustafsson (MachineGames) : [Rires] Depuis le tout début, nous nous sommes beaucoup concentré sur les jeux à la première personne, et nous avons toujours privilégié l’expérience shooting ; et je pense qu’avoir des ennemis représentés par les nazis ajoute à cette expérience shooting, parce que quand vous jouez au jeu dans la peau du protagoniste, vous êtes motivé à libérer le monde du mal. Dans les jeux Wolfenstein, ce mal est représenté par Hitler et les nazis, et je pense que c’est une bonne cause. Vous vous battez contre l’incarnation du mal, c’est très classique de ce point de vue.
C’est l’ennemi parfait, quoi.
Absolument.
Est-ce que tu penses que de nos jours, il y a une portée politique derrière ça ?
Je ne sais pas. Wolfenstein existe depuis si longtemps maintenant. Bien sûr nous voyons les événements qui se déroulent dans le monde. Nous nous sommes posés beaucoup de questions quand on allait sortir New Colossus et qu’il y a eu le drame terrible de Charlottesville. Malgré tout, comme je le disais, nous créons des jeux d’aventure et notre but est de nous assurer que nos fans et joueurs apprécient les jeux que nous réalisons. Ceci étant dit, ils ont aussi une certaine portée politique puisque nous combattons des nazis : comme je le disais, en tant que joueur vous combattez l’incarnation du mal, bien sûr d’une certaine façon c’est politique, mais c’est ce qui se passe quand vous ajoutez des nazis à un jeu.
Quelles mécaniques avez-vous développé spécifiquement pour le gameplay en coopération ?
Nous avons essayé de beaucoup nous concentrer sur l’amélioration, ou tout du moins l’ajustement de ce que nous avions précédemment réalisé. On doit s’adapter à l’aspect coopération. Par exemple, le système d’amélioration pour les armes : il est beaucoup plus fourni de façon à être sûr qu’il existe beaucoup de customisations pour les armes et personnages pour que chacun puisse assister l’autre en coopération. Nous avons des scénarios de combat un peu plus importants, grâce à Arkane qui nous a aidé sur le level design. Nous avons aussi beaucoup travaillé les routes alternatives. De plus, certaines choses sont spécifiquement dédiées à la coopération. L’un de mes éléments favoris, ce sont les emotes qui vous donnent à vous et votre sœur un buff. Nous avons réalisé avec le temps qu’elles sont très utiles en combat et plus vous les utilisez, plus vous en bénéficiez pendant les affrontements.
C’est un très bon élément coop pour le jeu. Aussi, on a ces systèmes de progression qui imposent aux deux joueurs de coopérer pour ouvrir une porte. Vous pouvez aussi vous aider l’une l’autre via la résurrection, bien sûr. Ceci étant dit, notre ambition a toujours été de proposer une expérience similaire pour celui ou celle qui veut jouer seul(e). Donc toutes ces mécaniques que nous avons développées pour la coop, l’IA peut les utiliser et vous assister. C’était vraiment un élément important pour nous, mais aussi, pour être honnête, un sacré défi [rires] ; l’alliée IA a suscité autant de difficulté que la coopération elle-même, je dirais – les deux sont totalement nouvelles pour nous.
C’était important pour vous de proposer des femmes en tant que protagonistes ? Est-ce que les récents événements (#MeToo, etc.) ont joué un rôle dans cette décision ?
Je ne dirais pas que c’était important. C’est venu assez naturellement. Il y a deux aspects à ça : lorsque nous avons débuté le développement, nous avons en fait discuté d’avoir une femme en personnage principal même avant de se partir sur la coopération. La raison derrière ça, c’est que depuis Riddick et The Darkness, nous avons toujours travaillé avec ces héros et anti-héros masculins, durant notre carrière en tant que studio pendant près de 20 ans ; et nous voulions faire quelque chose de nouveau, et en même temps nous avons décidé que ce jeu serait coopératif. Tout s’est mis en place, car ça nous paraissait naturel… Vous savez on a déjà établi dans New Colossus que BJ et Anya allaient avoir des jumelles, des doctoresses jumelles ; et ça tombait sous le sens pour nous d’utiliser les jumelles Blazkowicz, parce que ça nous permettait de tout de même jouer une Blazkowicz, et ça nous donnait cette opportunité fantastique de placer l’histoire dans les années 80, une perspective intéressante et excitant du côté de l’audio et du design. Je suis très content que nous l’ayons fait, parce que ça a constitué une expérience rafraîchissante pour l’équipe. Les actrices sont super et j’adore la façon dont nous utilisons le jeu pour construire la relation entre les deux sœurs, comment elles se chambrent, parlent, communiquent. C’était super amusant.
Que penses-tu du fait que certains veulent boycotter des jeux comme Battlefield V sous prétexte qu’ils intègrent des personnages féminins ?
C’est très compliqué pour moi de comprendre le raisonnement derrière certaines choses. Ce que je voudrais dire toutefois, c’est que si vous ne voulez pas jouer de femme protagoniste, c’est bien entendu votre décision, mais vous loupez tant d’opportunités et de jeux géniaux. Il y a tant de jeux incroyables ! Alors si vous êtes à ce point étroit d’esprit, c’est un peu triste. Voilà ce que j’en pense.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur l’aspect plus ouvert et l’influence d’Arkane ? Qu’est-ce qui a changé comparé à la formule habituelle ?
Beaucoup de choses ! Ce jeu est très différent de nos titres précédents. En fait la différence entre Youngblood et New Colossus est bien plus importante qu’entre New Order et New Colossus. Et c’est en grande partie en raison, pas seulement de la coop, mais de notre collaboration avec Arkane, la décision d’être moins linéaire. C’est quelque chose que nous avons décidé tôt lorsque nous avons commencé à discuter avec Arkane : nous voulions saisir cette opportunité de travailler ensemble, une grande opportunité pour nous. Vous savez on a une très bonne relation et, bien sûr, nous nous soutenons toujours mutuellement, nous le faisons depuis des années via des retours, etc. mais cette opportunité de travailler plus étroitement ensemble… nous voulions apprendre l’un de l’autre, mais aussi tenter d’élargir nos compétences en tant que développeur via une expérience différente. Et c’est là que la coopération entre en jeu, c’est là que le jeu VR – Cyberpilot – entre en jeu, et c’est aussi là que la structure plus ouverte entre en jeu. Arkane a joué un rôle important là-dedans : ils sont excellents dans leur level design. Alors je pense que c’est la combinaison de vouloir entreprendre quelque chose de nouveau et aussi apprendre de l’autre.
Est-ce que tu penses que Youngblood est encore destiné à la même cible de joueurs ?
Oui, en tout cas c’est ce que je pense. Bien évidemment, je suis certain qu’il y aura des joueurs déçus parce que, par exemple, ils ne peuvent pas jouer BJ. Et le jeu est différent de nos précédents titres. Mais il possède aussi ce cœur de gameplay Wolfenstein ; il ne fait aucun doute qu’on a affaire à un jeu Wolfenstein par MachineGames quand on se jette dans le combat. Cette expérience est toujours très présente, absolument.
Tu as dit que vous vous étiez inspirés des années 80, mais j’ai lu quelque part que vous aviez aussi puisé dans les Goonies, alors dis-nous : comment on mélange les Goonies et les nazis dans un jeu ?
[Rires] Le truc c’est que… je suis assez vieux. J’ai été voir des films comme celui-là au cinéma quand j’étais plus jeune. Mais il y a aussi beaucoup de films plus sombres qui nous inspirés, en particulier les Carpenter d’autrefois avec Escape from New York et The Thing, etc. Mais les Goonies, c’est un bon exemple je pense, parce que ça donne ce sentiment d’aventure, et c’est ce que font ces 2 filles : une grande aventure à travers Paris pour retrouver leur père. Elles ont un but spécifique, elles veulent trouver quelque chose ; c’est une aventure que d’explorer quelque chose de nouveau, très très loin de leur vie isolée au Texas où elles ont grandi, alors je pense que c’est une bonne référence. Et c’est aussi une bonne référence 80’s et j’adore ce film.
Youngblood incluera des éléments RPG, est-ce qu’aujourd’hui c’est un passage obligé ?
Pas nécessairement. Nous voulons que les joueurs soient capables — puisque le jeu est plus ouvert — d’explorer le monde d’une certaine façon, de penser qu’ils peuvent construire leur personnage et de continuer même quand ils auront terminé la campagne. C’est une bonne façon pour nous d’être sûrs que les joueurs joueront longtemps. J’aime beaucoup personnellement, parce que vous avez toujours la sensation de progresser. C’était aussi une excuse pour essayer des choses nouvelles avec ce jeu et sortir de notre zone de confort, sortir de l’expérience “aller du point A au point B”, mais rendre le chemin plus ouvert que ce soit du côté gameplay ou de la structure des missions
Est-ce que dans le fond ça ne risque pas de nuire à l’action du jeu ou de rompre l’équilibre du gameplay ?
Pas vraiment, je pense qu’on a fait du bon boulot là-dessus. Bien sûr, c’était une peur qu’on a eu, mais ça fait partie de l’envie de vouloir faire les choses de manière nouvelle et de vouloir apprendre, parce qu’en tant que développeur nous apprenons constamment. Heureusement, nous avons réussi à prouver que nous pouvions gérer ça.
Est-ce que l’infiltration tiendra un rôle plus important dans le titre, et comment est-ce géré avec un gameplay coopératif ?
Difficilement [rires]. Nous avons quelques compétences orientées infiltration, et nous avons même un camouflage cette fois, mais le souci est que vous devez faire confiance à votre coéquipier pour réussir. C’est difficile de concilier les deux si l’un commence à tirer alors que l’autre essaie de se faufiler. Mais il est tout à fait possible de jouer furtivement en tandem et de prendre des décisions ensemble. Le jeu supporte cette approche, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un jeu Wolfenstein. Il faut dézinguer l’ennemi, pas vraiment l’éviter. Certains passages du jeu ou certains boss nécessitent de tirer dans le tas quoi qu’il arrive. Cependant, si vous passez un groupe de nazis sans activer l’alarme, vous gagnez un bonus de furtivité. Nous voulons quand même récompenser les joueurs pour leurs choix d’approche.
Tu as déclaré plus tôt que MachinesGames et Arkane s’étaient rapprochés. Est-ce qu’Arkane vous filera un coup de main sur de futurs jeux et/ou vice-versa ?
Je peux dire que ça a été très bonne expérience. Bien sûr, nous avions déjà eu des partenaires externes pendant des années, mais cela a été une étroite collaboration dans le sens où nous avions l’équipe de Youngblood d’un côté et Arkane de l’autre, pas toute l’équipe de MachinesGames .Cependant, Youngblood a été développé en grande partie chez nous et Cyberpilot chez Arkane de manière simultanée, ce qui fait que la relation a été très étroite pendant tout le développement des deux produits. Il est certain que nous continueront à nous épauler dans le futur. Nous n’avons pas le temps de travailler sur un gros projet ensemble à l’heure actuelle, mais j’en serais heureux parce que j’adore ces mecs.
MachineGames a travaillé exclusivement sur Wolfenstein depuis sa création. Des projets prévus sur de nouvelles licences ou idées?
Oui, bien sûr. Nous cherchons constamment de nouvelles opportunités. Nous adorons travailler sur Wolfenstein, mais nous cherchons aussi autre chose. Évidemment, je ne peux rien vous dire pour le moment.
On est d’accord : Youngblood n’est pas Wolfenstein 3, n’est-ce pas ?
Absolument. Youngblood est une continuation du scénario de The New Colossus en partageant le même lore et le même monde, mais Youngblood est bel et bien un spin-off.
Pas sûr que tu puisses répondre à ça, mais est-ce que Wolfenstein 3 se passera avant ou après Youngblood ?
C’est malheureusement une question à laquelle je ne peux pas répondre [rires].
On peut donc toujours s’attendre à Mecha Hitler, pas vrai ?
Avec un peu de chance, on le verra un jour, oui.
À propos de la musique, est-ce que Mick Gordon revient sur le projet ?
Mick Gordon ne travaille pas sur la bande originale, parce qu’il est déjà très occupé avec DOOM Eternal (qui sera fantastique). Cela dit, nous aurons de très bonnes musiques et j’en suis très content. Nous continuons notre collaboration avec Martin Stig Andersen qui a également bossé sur The New Colossus et nous avons cette fois un nouveau compositeur nommé Tom Salta (PUBG, LawBreakers, Killer Instinct) qui est extrêmement talentueux. Nous avons vraiment une super B.O pour le jeu. De plus, nous avons fait des remix de tous les titres de Neumond Records présents dans The New Colossus, dans le style des années 80. Nous avons aussi une petite dizaine de chansons originales écrites en français dans le même genre, ce qui est super cool.
On a pu entendre du Carpenter Brut dans le trailer du jeu (gros fans ici en France). On le retrouvera également dans le jeu ou c’était juste pour l’ambiance du trailer ?
Non, malheureusement Carpenter Brut n’est présent que dans le trailer suite à un accord. Mais c’était super cool pour l’ambiance, parce que c’est vraiment ce que nous voulions pour le jeu.
Une dernière question : Youngblood a été développé en moins de temps qu’il vous en a fallu pour The New Colossus, et il est tout de même plus volumineux. Comment avez-vous géré le crunch au sein de l’entreprise ?
Oh, c’est une bonne question. C’est plus volumineux, mais du point de vue du gameplay. C’est une grosse différence. La campagne est plus légère, que ce soit dans le contenu ou le ton. Créer le gameplay demande moins de temps que le contenu, et on a pu prendre notre temps pour le développer, car il y a beaucoup de choses qu’on peut faire. À propos du crunch, nous avons cette ambition chez MachineGames d’appliquer une politique “no crunch” et c’est ce à quoi nous aspirons. Je ne peux pas dire que nous ayons réussi totalement, car nous avons toujours des employés qui font des heures supplémentaires et nous avons des deadlines de livraison à respecter. Nous n’y sommes pas encore, mais nous travaillons activement pour améliorer la situation et éviter les dommages dus à des temps de travail trop longs, et nous nous sommes pas mal débrouillés sur Youngblood. Le fait que nous travaillons avec Arkane est aussi un facteur qui nous a soulagé dans notre charge de travail. Encore une fois, ce n’est pas parfait, mais nous nous rapprochons de ce but.
Merci pour le temps que tu nous as accordé Jerk et bon courage pour le lancement de Wolfenstein: Youngblood.
Wolfenstein: Youngblood est disponible sur PC, PS4 et XB1.